Champs de bataille 6 : Bayer et Monsanto, 
semence for a bitter life

Le 14 septembre 2016, Bayer et Monsanto ont annoncé leur fusion, Bayer le géant chimique achetant Monsanto le roi des OGM.
Mais  leur union ne serait-elle pas pour leur meilleur et pour notre pire?

Un mariage consanguin

Présentons d'abord les fiancés qui sont tous deux de bonne lignée, dans leur genre.

Monsanto, de l'agent orange à la terreur verte.
Le cas de Monsanto a été magnifiquement traité par Marie-Monique Robin dans son enquête en livre et en documentaire :  Le monde selon Monsanto. L'entreprise a commencé dans la chimie en créant l'agent orange un défoliant surpuissant l'armée américaine a épandu sur les forêts pendant la guerre du Vietnam entrainant ainsi la déforestation et des milliers de cancers dans la population. Une autre création sont les PCB comme le pyralène qui pollue toujours nos rivières depuis leur utilisation dans les transformateurs électriques.
Fort de cette expérience dans la chimie, Monsanto s'est lancé dans l'agriculture avec la même philosophie. Il est devenu leader des herbicides avec le Roundup utilisé par les particuliers comme les agriculteurs dans le monde entier. Monsanto a d'abord présenté son herbicide comme biodégradable avant d'être condamné et sa molécule le glyphosate comme son produit sont considérés comme cancérogène par l'OMS mais le lobbying Monsanto est si fort que l'UE comme les EUA maintiennent son autorisation par tous les moyens détournés possibles.
Toutefois le véritable secteur de réussite de Monsanto sont les OGM. Monsanto en est le leader mondial avec près de 90% des graines OGM vendues dans le monde : maïs, coton, colza, soja principalement. Les OGM Monsanto sont très liées à leur activité pesticide. Ils ont deux types principaux : soit faire qu'une plante synthétise elle-même un pesticide comme dans le cas du maïs Mon810 qui sécrète dans toute la plante un insecticide contre la Pyrale du maïs et la Noctuelle du maïs, soit faire qu'une plante résiste à un herbicide que l'on pourra alors épandre sur le champ pour tuer les autres plantes comme dans le cas des plantes Round Up Ready de Monsanto qui résiste au Round Up. Bref vendre le poison et l'antidote, mais vendre les deux, tout cela en déversant dans la nature et dans nos organismes des pesticides et des OGM. (Rappelons que nos animaux d'élevage, hors bio, consomment des OGM importés, même si la culture OGM est interdite en France).
Voila pour la mariée que vous pouvez aussi découvrir dans le petit DATAGUEULE qui lui est consacré. (Juste pour rire, quand vous regarderez cet épisode, vous aurez peut-être la chance comme moi de découvrir à droite de votre écran une pub sur l'accord Monsanto-Bayer. Ne criez pas au complot, c'est juste l'algorithme qui vous aide à suivre l'actualité, mais quand même c'est bien fait. Essayez le Datagueule sur le sucre, vous aurez une pub Nestlé).

Bayer, l'art de faire passer la pilule.
Le futur époux n'est pas plus propre mais a un art consommé de se cacher derrière son activité pharmaceutique pour faire passer tout le reste. Bayer est en effet la firme qui a breveté l'aspirine en 1899 mais la suite est plus sombre. Le zyklon B utilisé par les nazis dans les camps d'extermination est aussi de son fait. C'est au départ un pesticide "contre les poux et les ravageurs des récoltes" produit par la firme IG Farben rassemblant trois sociétés chimiques BASF, Agfa et Bayer. IG Farben gérait aussi pendant la guerre le camp d'Auschwitz III appelé aussi Buda ou Monowitz, un camp de mise à mort par le travail qui était une usine de caoutchouc du groupe et que décrit Primo Lévi dans Si c'est un homme. Enfin la firme a acheté plusieurs fois des prisonniers juifs dans les expériences pour tester ces produits sur eux. Une des 12 séances des procès de Nuremberg qui ont jugé les criminels nazis a été consacrés à IG Farben, les dirigeants sont condamnés pour crime de guerre et le consortium démantelé en 3 entreprises : BASF, Agfa et Bayer. 
Blanchissant son image par des campagnes publicitaires pharmaceutiques, Bayer s'est diversifié dans des secteurs d'activité semblables à ceux de sa fiancée. Ainsi sa filiale Bayer CropScience AG produit des pesticides et des semences OGM. Ainsi Liberty Link est la variété de semences OGM développées par Bayer pour résister à ses propres pesticides sur le même principe que les RoundupReady de Monsanto. Au niveau pesticide, Bayer s'est fait connaître pour des insecticides classiques comme le folpel dont il est le plus gros vendeur en France et pour ses insecticides néonicotinoïdes comme le Gaucho responsable de l'effondrement des colonies d'abeilles. 

Bref, plein de choses en commun pour les deux fiancés et surtout une vision commune de l'agriculture, celle d'une agricultique chimique et techniciste animée par une pulsion de mort comme le dénonçait un précédent article : L'agriculture entre la mort et la vie.

Une question se pose encore : Pourquoi une telle union, mariage d'amour ou de déraison?

Manger ou être mangé

La raison principale de ce mariage est liée au monde de l'agrochimie et des semences qui est en pleine concentration. En 2015, il y avait 10 grosses entreprises, il n'y en a plus que 6 qui sont toutes en train de fusionner. Le suisse Syngenta est racheté par le chinois Chemchina, les deux américains Dupont et Dow Chemicals fusionnent et Bayer rachète Monsanto. De 10 à 3 en 1 an, si les autorités anticoncurrence américaine et européenne donnent leur accord ce qui n'est encore pas fait. Pour quoi une telle concentration? Il y a plusieurs raisons.

La première est une vieille règle libérale : manger ou être mangé. Bayer rachète Monsanto pour être trop gros pour être mangé par un autre, ce que n'a pu faire Monsanto quand en 2014 et 2015 il voulait acheter Syngenta. Entretemps Monsanto a rencontré quelques problèmes. Il souffre déjà de la pire image qui soit en étant la seule entreprise qui suscite contre elle des manifestations, une marche mondiale (le 21/05/16) et qui va être jugée en octobre par  le Tribunal Monsanto. Le Tribunal Monsanto est une mobilisation internationale de la société civile pour juger Monsanto pour violations des droits humains, pour crime contre l‘humanité et pour écocide. Je  vous invite à le découvrir sur leur site pour mieux comprendre cette démarche intérante et nouvelle d'une société civile qui se rend acteur de la justice internationale même si cela n'est que symbolique. (Vous pouvez même les soutenir et donc renforcer leur légitimité en  signant individuellemnt ou comme organisation comme l'a fait l'Amap).
Toutefois les pires fragilités de Monsanto expliquant son absorption sont pourtant ailleurs, dans les domaines commercial et industriel. Au niveau commercial, de plus en plus de pays retirent le Roundup des magasins pour les particuliers, l'Union européenne a hésité en juin 2016 a lui renouvelé son agrément pour les agriculteurs alors que l'automatisme était la règle. Au niveau industriel, le coup est le plus dur : le brevet de Monsanto sur le glyphosate, principe actif du Roundup, s'est achevé en 2015 et la firme a perdu son monopole sur ce qui fait sa richesse et est au coeur de ses OGM Roundupready. Toutes ces fragilités  ont entrainé le pire pour une multinationale : le cours de son action a chuté ce qui l'a rendu rachetable et Bayer en a profité, préférant racheter pour ne pas pouvoir être par la suite racheter. La logique du capitalisme financier est réellement formidable, non?
Cette expérience Monsanto montre les fragilités que cette union essaie de corriger mais aussi celles que nous pouvons utiliser contre ces firmes.

L'union fait la force (même du côté obscur)

Cette union des deux entreprises a plusieurs motivations économiques. Une des premières est liée à  la contestation de Monsanto. Bayer est embêté. Il a pensé absorber les produits Monsanto pour les vendre sous le nom de Bayer et éviter ainsi cette mauvaise image. Toutefois cette image est paradoxalement bonne chez les agriculteurs conventionnels c'est-à-dire chimiques et enlever le nom Monsanto pour les professionnels entrainerait des risques de perte de clientèle. En effet a-t-on entendu la FNSEA ou son équivalent allemand hurler contre le mariage Bayer/Monsanto? Devant les journalistes ils sont au pire préoccupés. Sur le site de la FNSEA, très suivi par les agriculteurs, pas un article sur la fusion et le seul article (jusqu'au 24/09/2016 date de cet article) lié au glyphosate de Monsanto est un communiqué de presse du 7 juin 2016 qui reproche au gouvernement de ne pas avoir soutenu à Bruxelles la prolongation d'autorisation du glyphosate. Donc Monsanto mon ami pour la FNSEA mais il fallait s'y attendre (voir l'article sur celle-ci). On peut donc penser que Bayer mettra ses lignes grands publics sous son nom, moins sali, et ses lignes professionnels sous le nom de Monsanto, must-have des fans de pesticides.
Pourtant ce sont bien les agriculteurs conventionnels qui ont à craindre cette fusion qui va faire naître un géant mondial. En effet, Bayer est très présent sur les marchés européens et asiatiques alors que Monsanto contrôle les marchés nord et sud-américains. A l'échelle mondiale, Bayer-Monsanto controlera, c'est-à-dire vendra 1/3 des semences et 1/4 des pesticides et dominera le marché devant les deux autres géants. On se retrouvera dans une situation hallucinante où trois entreprises privées contrôleront la nourriture (cérales, protéagineux  et donc aussi l'élevage) de l'humanité et pourront en faire des OGM arrosés de pesticides. On a rarement vu de projet aussi inquiétant même si ces entreprises étaient bienveillantes et on a vu que ce n'était pas du tout le cas, bien au contraire.
L'autre enjeu de cette fusion, à part la taille, ce sont les brevets. Ils sont devenus le nerf de la guerre économique. Un brevet permet d'être le seul à pouvoir vendre une de ses inventions pour une période donnée. Il sert à l'origine à payer la recherche faite mais est le plus souvent une manière de garder un marché captif. Quand une entreprise en rachète une autre, elle récupère tous ses brevets en cours et cela va permettre à Bayer de se retrouver en possession de très nombreux brevets en cours : pesticides dont les néonicotinoïdes et OGM, sans même en avoir financer la recherche. 

Enfin, réunir les deux entreprises permet des économies d'échelle dans le secteur le plus coûteux pour ses entreprises tout en gagnant en efficacité : la recherche, non je plaisante. Le lobbying. Fabricants de pesticides et d'OGM sont les champions du lobbying au niveau des instances internationales, américaines, européennes, nationales... Or cela coûte de l'argent d'embaucher des lobbyistes, de financer des études...  (voir le Datagueule Lobby or not lobby). Les efforts de lobbying faits par les deux entreprises séparées pourront être réunies permettant plus d'efficacité pour une même dépense. Ce lobbying doit permettre d'éviter toute interdiction de leurs produits, de jeter l'opprobre sur toutes les études contradictoires, de s'opposer à ceux qui les mettent en doute, de garantir que la législation n'évolue pas en leur défaveur ou de faire passer des principes de droit favorables (comme celui d'équivalence en substance, inventé par Monsanto, qui veut qu'un maïs produisant des pesticides soit un maïs, un aliment et non un pesticide, et qu'il a fait accepté par le droit international). Tout ce travail de fond, opiniatre et aggressif, totalement contraire aux intérêts de l'humanité et de la démocratie, n'a qu'un but : promouvoir leur modèle agricole, source de leurs revenus. Dans les rangs agricoles, l'annonce de la fusion a été immédiatement comprise comme cela : le renforcement de l'entreprise leur permettra d'éviter les interdictions de pesticides à venir.
Un exemple de ce lobbying est celui sur le riz doré qui menace actuellement l'Asie. C'est un nouvel OGM d'un riz "augmenté en vitamines"' pour pallier les carences des populations asiatiques. Ce premier OGM qui se présente comme humanitaire n'a qu'un but économique : faire accepter les OGM massivement et conquérir de nouveaux marchés jusqu'alors fermés. Ce cheval  de Troie doré en forme de grain de riz est une absurdité car il suffit de rajouter des légumes dans le riz classique ou d'utiliser des variétés traditionnelles comme le riz rouge non épluché pour compenser ces carences vitaminiques. Si les populations asiatiques ne le font pas, c'est par manque d'argent. Que proposent les semenciers? Leur vendre un riz vitaminé plus cher alors qu'ils ne pourront se l'offrir sans s'endetter. On veut remplacer les solutions locales autonomes par des solutions marchandes. Pour faire passer leur hérésie, les firmes semencières ont réussi à faire signer une lettre à 113 prix Nobel (pour voir la liste) pour soutenir ce riz doré contre les campagnes anti-OGM. Quel lobbying a-t-il fallu faire pour une telle lettre sur un projet absurde signé par tant d'esprits brillants? La réponse est simple : beaucoup de ces Nobels travaillent et sont financés dans le domaine de la médecine, biologie et chimie, des domaines si chers (dans tous les sens du terme) aux entreprises chimiques, biologiques et pharmaceutiques que sont les semenciers et keurs alliés.
Cette union semble donc bien se faire au détriment de tous puisqu'elle met entre les mains de 3 entreprises notre sécurité alimentaire globale, notre santé et notre environnement. Cette union se fait aussi contre ceux qui pour l'instant s'en plaignent le moins : les agriculteurs.

Le all-inclusive et la dépendance agricole

Parmi les brevets et services que Bayer a obtenu avec Monsanto, il en est un qui permet de comprendre le modèle agricole selon Bayer-Monsanto. Monsanto avait racheté en 2013 pour un milliard de dollars The Climate Corporation, une entreprise fondée par des anciens de Google.
Cette entreprise propose des applications, plateforme et logiciels qui sont des assistants aux agriculteurs pour conduire leurs cultures en fonction du sol, de la météo. Les agriculteurs rentrent les données de leur exploitations sur une plateforme (Climate fieldview platform) que les applications utilisent en plus des données météo locales pour les conseiller. Ils peuvent ainsi utiliser Nitrogen advisor qui dresse des cartes du champ et de la quantité d'engrais à mettre. En branchant le module Climate fieldvew drive sur le tracteur ou l'épandeur à engrais, ce sera lui qui versera la quantité d'engrais en fonction de la carte préétablie par la précédente application tout en collectant de nouvelles données à même le champ pour enrichir la plateforme.
Bayer-Monsanto peut donc contrôler toute la culture et l'agriculteur se retrouve dépendant dans ses achats et ses pratiques. Il achète leurs semences OGM faites pour être utilisées avec leurs produits phytosanitaires qu'ils achètent donc aussi. Il utilise les services de Climate corp. qui lui dit quand planter en fonction de la météo, du sol, met l'engrais à sa place via l'appli Drive ( engrais acheté à Bayer sinon l'appli n'est pas contente), conseille le nombre de traitements en fonction de la météo ( et comme ce sont des traitements achetés à Bayer on ne lésine pas). L'agriculteur est donc dépendant dans son travail mais il pourrait en sortir en refusant par exemple de faire un des traitements préconisés car c'est quand même lui qui peut ne pas mettre en route le tracteur au jour et à l'heure du traitement préconisé par l'application (la prescription est en effet aussi précise).
C'est là qu'arrive la dernière activité de The climate corp, filiale Monsanto-Bayer, qui a trouvé comment enchainer l'agriculteur. The climate corp. propose des assurances aux agriculteurs (article). Ce sont des assurances récolte appelées TWI (Total Weather Insurance) qui couvre tous les risques météo de l'année quel qu'ils soient et peut se prendre par parcelle de 3km de côté. Avec les données de The climate corp., l'agriculteur peut prendre l'assurance selon les parcelles et non partout, ce qui revient moins cher. Quel est l'intérêt pour elle de proposer cette assurance? Toute assurance comporte des clauses à remplir : utiliser les appli Climate fieldview, suivre leurs conseils de mises en culture, le nombre de traitements, utiliser les semences, phyto et engrais de la marque préconisée sans quoi pas de remboursement. Comment le sait-elle? Grâce justement à l'application et au module Drive qui passe dans les champs en envoyant toutes les infos au fur et à mesure. On retrouve ici l'esprit Google des fondateurs de The climate corp (et non ce n'est pas "je suis en basket au bureau et je tutoie mon boss") mais le contrôle des données pour faire de l'argent. 

Le rachat par Bayer de Monsanto et donc de The climate corp. crée un all-inclusive jamais vu : une assurance Bayer qui contraint à utiliser les services et appli d'aide à la culture Bayer, les semences Bayer, les pesticides Bayer, les engrais Bayer, dans des quantités et à des fréquences déterminées par l'appli Bayer qui contrôle en même temps si c'est fait, sans quoi pas de remboursement par l'assurance Bayer en cas de problème.
Au milieu, un agriculteur moribond, qui a perdu sa liberté, dirigé par l'appli Bayer, coincé entre les prix de vente et les factures Bayer qui n'auront de cesse d'augmenter au rythme de sa main-mise sur les agriculteurs. Il n'aura même pas la liberté de sa mort qui après toutes ces années de produits Bayer sera un cancer Bayer, mais, qu'il se rassure, Bayer fait aussi des anti-cancéreux.

Le mariage Bayer-Monsanto est donc bien pour leur meilleur et pour notre pire. Il va permettre de pousser plus efficacement le modèle agricole phyto-engrais-OGM qui se fait contre la santé et l'environnement, contre les agriculteurs et participe d'un des risques les plus importants aujourd'hui la la main-mise de 3 entreprises privées sur l'alimentation mondiale. 

Octobre 2016

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