C'est Pâques! Si on mangeait de l'herbe?

Les traditions culinaires pascales ont toutes un point commun : faire beaucoup avec le peu qu'offre la saison. En cela elles sont des leçons de cuisine et de rapport à l'alimentation pour notre époque qui fait de mauvais plats industriels en forçant la terre et la saison. Au centre de cette cuisine de peu, d'opportunité, les herbes printanières, que l'on méprise aujourd'hui mais qui sont des merveilles gustatives et nutritionnelles. Alors en route pour la chasse aux oeufs.

"De Pâques à la Pentecote, on mange de la crotte"

Il existe un petit dicton des familles qui dit : "De Pâques à la Pentecote, on mange de la crotte". Ce dicton souligne le problème alimentaire des sociétés paysannes avant l'avènement de la serre, de la couche chaude ou de tout autre moyen de faire des légumes précoces : la soudure. C'est le moment où les récoltes de l'an dernier sont épuisées et celles de l'année pas commencées. Cruciale sur les céréales et mère de toutes les révoltes paysannes et politiques jusqu'à la Révolution française, elle se déroule en mai-juin. Toutefois sur  les légumes, elle est plus précoce et a lieu en mars-avril-mai. Au début de cette période, Pâques, fête chrétienne centrale qui suivait les 40 jours de Carême. Pour cette fête, carillonnée s'il en est puisque c'est le retour des cloches, il fallait faire gras, c'est-à-dire manger un bon repas avec de la viande. Toutefois vu la période il fallait se montrer inventif : faire un repas festif à un moment où il n'y a pas grand-chose. 

Les oeufs de Pâques, le Carême et l'économie ménagère

L'économie ménagère (pléonasme puisque l'économie est étymologiquement la gestion de l'oïkos, de la maison) veut que l'on ne gâche rien, principe on ne peut plus louable par rapport à notre société consumériste. Or pendant le carême, ce jeûne chrétien de 40 jours, la consommation des oeufs était interdite. Les oeufs se gardent bien mais comme le chante Peau d'Âne préparant son cake d'amour : "au bout de vingt jours, un poussin sort toujours". Il fallait donc manger les oeufs qui risquaient de se perdre avec le carême de 40 jours. C'est pourquoi ce jeûne chrétien est entouré de fêtes qui permettent la consommation des oeufs pour concilier interdit du gâchis et interdit religieux. Le mardi-gras est le dernier jour avant le carême où l'on fait gras c'est-à-dire que l'on mange des crêpes, des beignets ou toutes autres patisseries régionales utilisant des oeufs. Bref on les finit avant le Carême. Vingt jours passent et les oeufs s'amassent, mais heureusement voici la mi-Carême ou le carnaval où de nouveau, beignets et crêpes permettent de consommer les oeufs avant leur perte, même au milieu du Carême. Retour du jeûne pour une vingtaine de jours et les oeufs s'accumulent de nouveau. Avant Pâques, on les cuit et on les décore pour offrir aux enfants ou en cadeau. On voit là l'intelligence d'une société qui, malgré des interdits religieux, utilise sa ressource alimentaire sans gaspillage.

Traditions pascales et cuisine de peu

Toutes les traditions culinaires françaises pour Pâques s'appuient sur cet impératif : un repas de fête quand il n'y a pas grand-chose dans le frigo de l'époque c'est-à-dire le jardin. Dans le sud de la France, la douceur du climat fait que les premiers agneaux nés en début d'hiver sont prêts et on les accompagne des premières fèves, des premiers épinards, des premières asperges ou comme dans la tradition juive d'herbes amères, c'est-à-dire des nouvelles pousses du potager ou des  herbes sauvages. Cette tradition s'est d'ailleurs étendue à toute la France à l'heure actuelle même dans des régions plus nordistes où les agneaux sont très loin d'être prêts à la consommation. Dans certaines régions, le chevreau ou le cabri, c'est selon, remplace l'agneau. Bref on mangeait le premier animal en âge d'être mangé.

Dans d'autres régions où agneau et cabri ne sont pas encore prêts, le plat de Pâques se compose d'oeufs ou de reste des viandes conservées : lard sec, petit salé... Dans le Berry et le Bourbonnais, c'est le pâté pascal avec hachis de viande aux herbes et oeufs durs. Traditionnellement, c'était soit les restes de viande conservée soit pas de viande et donc oeufs et herbes, une composition très proche de la tourte pascaline.

En Bourgogne, c'est le jambon persillé, plat délicieux mais oh combien symbolique de cette cuisine de peu qui est le véritable génie de la cuisine. Le jambon persillé est la rencontre magnifique, l'idylle formidable de deux restes. Le premier est la viande de porc mise au saloir c'est-à-dire en saumure dans l'hiver quand on a tué le cochon et qui risque de mal supporter la montée des températures au printemps à la différence des viandes mises à sécher. Le second est le persil. C'est une plante bisannuelle qui passe très bien le premier hiver et lors de son deuxième printemps fait de nombreuses feuilles qui préfigurent fleurs et graines. Rien ne sert de tout garder donc, seulement quelques graines pour resemer. Le reste est alors coupé et vient assaisonner la viande de porc qui cuit avec couennes et pieds pour finir dans une délicieuse gelée verte et parfumée de senteurs persillées. 

Mangeons des herbes

Dans toutes ces traditions pascales, une constante : les herbes. Deux types d'herbes : les anciennes et les nouvelles. Les anciennes sont toutes les bisannuelles de l'année dernière qui repoussent fortement au printemps pour faire tige, fleurs et graines : persil, bette, pissenlit principalement, et toutes les vivaces : oseille, ciboulette, estragon... Les nouvelles sont les plantes précoces qui ne craignent pas le froid et que l'on a semé à l'automne, qui ont raciné tout l'hiver et déplient leurs feuilles dès les premiers beaux jours : aillette, jeunes oignons, jeunes poireaux, épinards, plantain, mâche... A ces plantes de jardins, on rajoutait alors les plantes de cueillette : pissenlits, doucette, assez classiques mais aussi les asperges sauvages, les pousses d'orties, de houblon, de fougères, d'ail des ours, de massettes, les petites rosaces de lampsane, les feuilles et fleurs de violette et de coucou et même les bourgeons de sapin... Bien sûr on peut faire de délicieuses salades  sur le mode du pissenlit au lard ou du mesclun printanier. On peut aussi faire la recette de Pâques par excellence : la tourte pascaline qui rassemble tous les produits nouveaux du printemps : les oeufs et toutes les herbes que l'on trouve.
Toutes ces herbes sont moins consommées ou un peu boudées actuellement. C'est véritablement dommage car elles ont des goûts que l'on ne retrouve pas dans d'autres aliments et principalement les saveurs herbacées, anisées, acides, amères que notre alimentation perd au profit du tout sucré même dans les légumes. L'amer est souvent décrié mais c'est une saveur formidable au point que cela fait plusieurs années que le chef Pierre Gagnaire l'explore après avoir exploré l'acide. Ces pousses de printemps et leur amertume sont même pour lui la marque d'une 5e saison culinaire. Enfin au niveau des nutriments toutes ces jeunes pousses sont de véritables bombes qui sont centrales dans le si célèbre régime crétois et que l'on oublie si souvent. Le régime crétois ce n'est pas manger une salade de tomate à l'huile d'olive, les tomates n'existaient pas alors, c'est avant tout de l'huile d'olive, un peu de céréales, des légumineuses et des herbes comme principaux légumes.
Pour des idées voir : Comment cuisiner les légumes feuilles?

Cette magnifique recette de la tourte pascaline montre l'intelligence de cette cuisine d'opportunité traditionnelle qui fait des plats magnifiques avec ce que produisent la terre et la saison. Notre société fait actuellement l'inverse : des plats industriels médiocres et standardisés en détruisant la terre et en niant la saison. Entre les deux, nous avons perdu la cuisine, cette culture qui permet à l'homme de faire du bon avec peu, ce lien que l'intelligence humaine a tissé entre son agriculture, son environnement et son assiette.

Mars 2016

© Copyright SiteName. Tous droits réservés.