Champs de bataille 10 : La Loi Duplomb, une loi écocidaire pour plomber l'agriculture mais pas que...
La PPL Duplomb est une proposition de loi présentée par le sénateur Les Républicains de Haute-Loire, Laurent Duplomb, issu des JA puis de la FNSEA au nom de qui il a présidé la chambre d’agriculture de la Haute-Loire avant de devenir sénateur en 2017, réélu en 2023. En 2022, il s’illustre contre la revalorisation du RSA en fonction de l’inflation et par un rapport sur la compétitivité de l’agriculture. En janvier 2025, il fait une loi supprimant l’Agence française pour le développement et la promotion de l’Agriculture biologique et le 27 janvier, il présente au sénat sa PPL qui est adoptée. Le 26 mai 2025, cette proposition de loi était présentée à l’assemblée nationale pour débat et vote mais les partis favorables à cette loi, c’est-à-dire Renaissance, Modem, les Républicains et le RN, ont voté son rejet pour qu’elle ne soit pas examinée par l’assemblée où de nombreux détracteurs l’attendaient mais pour qu’elle passe directement en commission paritaire débattue seulement par 7 sénateurs et 7 députés, commission plus favorable que des débats à l’assemblée pour l’adoption d’une loi si controversée. Cela permettait aussi de supprimer tous les amendements mis en place en commission Développement durable pour atténuer les méfaits de cette loi. Cette manœuvre inédite est un vrai court-circuit antidémocratique qui empêche la représentation nationale d’examiner un texte dont la mesure principale est rejetée par 83 % de la population française selon un sondage IFOP en avril 2025.
Cette loi veut "lever les contraintes au métier d'agriculteur", sans avoir aucun aspect économique ce qui est déjà une aberration car c'est là que se trouve les contraintes agricoles, mais uniquement des aspects écologiques. Alors que veulent la proposition de loi Duplomb et ses complices : le gouvernement, la FNSEA, les JA, la Coordination Rurale, et les élus Renaissance, Modem, LR et RN qui la soutiennent? AUtrement dit en quoi la loi Duplomb est-elle une loi écocidaire qui veut plomber l'agriculture et plus généralement la société au profit de la seule agro-industrie?
Cette loi a mesures principales toutes problématiques individuellement et qui ensemble orientent l'agriculture dans un même et unique sens, celui de sa fin.
Développer les élevages industriels.
La PPL Duplomb utilise un de ces petits détails chiffrés qui en réalité transforment en profondeur un système tout entier. En France, les élevages industriels sont considérés comme des ICPE, installations classées pour la protection de l'environnement, comme les usines SEVESO, mieux connues, car elles "peuvent avoir des impacts (pollution de l'eau, de l'air, des sols, etc...) et présenter des dangers (incendie, explosion, etc...) pour l'environnement, la santé et la sécurité publique" selon la loi. Jusque là, le seuil à partir duquel un élevage de volailles était considéré comme une ICPE, comme une industrie à nuisances et à risques était de 40 000 volailles. Ce classement implique une autorisation particulière pour l'installation et des contrôles spécifiques. AVec la loi Duplomb ce seuil est plus que doublé passant à 85 000 volailles et donc jusqu'à 85 000 volailles dans un élevage, il n'y aura plus besoin d'autorisation ni de contrôles spécifiques aux risques de tels élevages, alors que leurs risques sanitaires et environnementaux n'auront pas changé. Pour les élevages de porcs, le seuil passe de 2000 à 3000 porcs dans un même élevage. Enfin l'article 3 affaiblit la consultation des riverains pour de tels élevages.
Par ces simples changements de seuil, la loi Duplomb pousse les fermes-usines et leur cortège de problèmes : antibiorésistance dans la population générale, souffrance animale, pollution des sols, des eaux et marées vertes associées (pour lesquelles l'Etat vient d'être reconnu responsable en juin 2025 de la mort de Jean-René Auffray, un joggeur tué par des émanations d'algues vertes en putréfaction en septembre 2016), épandage de produits azotés entrainant des dégazements de protoxyde d'azote qui participe à l'effet de serre et au changement climatique, ... Enfin cette disposition de la loi Duplomb qui favorise les fermes-usines et leur production de mauvaise qualité pour l'export ou l'industrie de transformation, joue contre la santé humaine et aussi contre l'élevage paysan que ce soit ici ou dans les pays d'export en inondant ces marchés de viande à bas prix au profit de quelques capitalistes agro-industriels qui détiennent ces élevages ou qui fournissent en aliment d'importation (soja surtout).
Développer les mégabassines
Dans le domaine de la gestion de l'eau, problème principal en agriculture avec le dérèglement climatique et celui des régimes des pluies, la PPL s'engouffre dans l'impasse des mégabassines en renversant la charge de la preuve. A l''heure actuelle, les opérateurs (il ne s'agit jamais d'agriculteur seul) qui veulent faire une mégabassine doivent prouver son intérêt général, sa nécessité pour eux, son inocuité pour les autres et pour l'environnement... et donc bien sûr n'y arrivent pas puisque les mégabassines sont injustifiables et c'est pour cela que de nombreux projets sont déboutés en justice. En effet les mégabassines pompent l’eau dans les nappes phréatiques pour que quelques exploitants agricoles s’accaparent ce bien commun pour des cultures commerciales intensives à l’export, le plus souvent. Elles privent de cette ressource les autres agriculteurs, les rivières et le milieu, détruisent les zones humides et aggravent à la sécheresse car elles accélèrent l’évaporation et la disparition de l’eau dans le milieu. Rien qui soit d'intérêt général majeur.
Et pourtant et c'est la magie de la loi Duplomb (au sens premier de la formule magique par laquelle des mots créent une réalité), elle établit sans aucune justification scientifique que les mégabassines sont "présumées d'intérêt général". L'intérêt général majeur est donc présumé, il n'est plus à prouver mais établi par la loi qui va à l'encontre de la science et de la justice qui ont établi d'après les faits qu'il n'existait pas. Dans les faits par la suite, cela facilite les autorisations et empêche les recours sur ce point central de l'intérêt général majeur.
Ce tour de passe-passe juridique rejoint celui démocratique vu plus haut. En effet le passage de la PPL en commission développement durable avait modifié certains points par des amendements : la nécessité de protéger les captages d'eau et surtout la mise en place d'un moratoire sur les mégabassines. Le rejet de la loi à l'assemblée par ses promoteurs permet de revenir au texte initial, sans ces amendements protecteurs.
Une fois encore la loi Duplomb favorise l'agroindustrie au détriment du bien commun, de l'environnement, des populations et des autres agriculteurs producteurs d'alimentation, bref de tous et tout pour quelques uns.
Développer les pesticides
Réintroduire les néonicotinoïdes
Les néonicotinoïdes sont un groupe d'insecticides systémiques neurotoxiques qui ont été interdits en France en 2018 pour leur dangerosité car ils sont une cause avérée de la mortalité des abeilles et de l’effondrement des populations d’insectes dont les pollinisateurs. Systémiques signifiques qu'ils entrent dans la plante et s'imprègnent dans tous ses tissus : tous les organes sont donc porteurs. Neurotoxiques car ils s'attaquent aux systèmes nerveux des insectes qui les ingèrent en piquant, mangeant ou butinant la plante traitée. Ils sont donc "tueurs d'abeilles" selon l'expression tout à fait juste mais pas que... Ils tuent les abeilles domestiques et donc détruisent l'apiculture française : c'est en moyenne 30% des abeilles domestiques qui disparaissent chaque année selon l'ANSES. Ils tuent les abeilles sauvages et tous les insectes et participent ainsi à une véritable catastrophe silencieuse la disparition des insectes que montre le graphique ci-contre : les populations d'insectes ont chuté de 41% en 10 ans, beaucoup plus vite que tous les autres genres animaux. Cet effondrement des insectes explique aussi l'effondrement de 30% des espèces d'oiseaux de milieu agricole (la chute est beaucoup moins forte pour ceux des autres milieux) : soit les oiseaux n'ont plus d'insectes à consommer, soit les oiseaux sont eux aussi contaminés par les pesticides quand ils consomment les insectes contaminés. Enfin les insectes sont les principaux pollinisateurs des plantes cultivées et selon la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 75% de notre alimentation est dépendante des pollinisateurs... On comprend pourquoi les parlementaires en 2018 avaient décidé d'interdire ces néonicotinoïdes.
Rien n'ayant changé quant à la situation et leur dangerosité, on comprend mal la réautorisation proposée par la loi Duplomb si ce n'est par un mépris de la science, de l'environnement et de l'avenir humain. Duplomb précise que ce ne sont pas les néonicotinoïdes qui sont réintroduits mais seulement 2 d'entre eux, peut-être 3, dont l'acétamipride, présenté comme le moins toxique. Alors regardons ce qu'est le moins toxique. Il est toxique, mortel pour tous les insectes à dose très faible et encore plus sur le long terme. Il est systémique et il faut 420 jours soit plus d'un an pour que la moitié du produit se dégrade en métabolite dont la dangerosité est aussi préoccupante (demi-vie à 420 jours). Il est aussi contaminant pour l'humain et pénètre le corps humain. Une étude japonaise montre qu'il passe la barrière placentaire et contamine des bébés in-utero. Une étude suisse de 2022 a retrouvé sur 14 enfants testés des métabolites issus de la dégradation de l'acétamipride dans leur liquide cérébro-spinal (qui entoure le cerveau) alors que c'est un neuro-toxique... L'EFSA, l'agence européenne de l'environnement, pourtant frileuse d'habitude, considère des effets nocifs possibles sur le système nerveux humain et recommande une baisse drastique de cette molécule dans l'environnement humain.
C'est donc ça le moins toxique mais pourquoi faire? La loi Duplomb prend l'exemple de la filière noisette, les nuciculteurs français subissant des attaques de balanins qui détruisent les récoltes. Mais cette nuciculture est un secteur de niche et n'est qu'un exemple sympathique et pour lequel des alternatives biologiques existent (aussi complexes que les poules sous les noisetiers... par exemple). Car en fait la noisette cache la betterave sucrière (et c'est pas facile). Le lobby qui pousse à la réintroduction des néonicotinoïdes est autrement plus puissant qu'un sympathique producteur de noisette : ce sont les lobbies des betteraviers, de l'industrie sucrière, de l'industrie agro-alimentaire et de l'industrie d'agrocarburant. La betterave sucrière subit des attaques de pucerons verts et les néonicotinoïdes sont la solution de facilité contre eux mais non la seule car lors de l'interdiction de 2018, l'ANSES a identifié 22 solutions alternatives moins dangereuses voire pas contre ce puceron...
Donc on réintroduit ce poison pour faire de la betterave et donc faire du sucre. La France est le 1er pays producteur de sucre dans l’Union européenne et le 2e producteur de sucre de betterave mondial. En 2022-23 par exemple la France a produit 4745 tonnes de sucre blanc dont 4550t de sucres de betterave une moitié part à l'exportation et l'autre est consommée en France (chiffres Agreste) en tant que sucre de bouche 13% (mangé ou utilisé à la maison), comme produit de chimie ou de pharmacie 9% (pour faire des alcools pharmaceutiques ou des comprimés), pour faire de l'éthanol pour les voitures 20% mais surtout comme sucres cachés dans les produits transformés où il est partout, du soda jusqu'à la charcuterie et aux plats cuisinés. Cet usage représente 58% du sucre consommé en France un sucre malsain qui n'a de réel intérêt que pour rendre sapide les produits ultra transformés nocifs pour la santé et car c'est la source de calorie la moins chère pour faire des produits à bas prix.
La France n'a donc pas besoin de tout ce sucre produit : elle en exporte la moitié et n'a un réel usage qu'environ 1/3 (une part du sucre de bouche, un peu dans les plats tranformés sucrés pas dans les autres, un peu pour faire des produits pharmaceutiques). Si l'on n'a besoin que d'un tiers, on peut donc en produire moins, mieux en utilisant une des 22 alternatives possibles aux néonicoténoïdes.
Au lieu de cela, la loi Duplomb veut ses néonicoténoïdes pour faire le plus du sucre, le moins cher possible, pour l'export et pour l'agroindustrie qui veut gaver la population de produits transformés les plus rentables pour elle et les plus nocifs pour la population. Ce sucre surabondant et caché cause les principaux problèmes de santé français : épidémie d'obésité et de maladies cardiovasculaires liées et épidémie de diabète.
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