La recherche de nouvelles variétés doit servir une agriculture que l'on peut appeler douce : biologique, intensive en travail manuel, qui prend soin de la ressource et du vivant, soigne le sol, limite la mécanisation au maximum, privilégie la variété, est autonome à l'échelle de l'exploitation et s'inspire de l'agroécologie ou de la permaculture en associant plantes, animaux et tous les êtres vivants et en donnant à chacun plusieurs fonctions dans des cultures devenues des écosystèmes. Dans une telle agriculture qui a montré son efficacité à la ferme du Bec Hellouin et qui est la seule apte à nourrir le monde à travers des circuits-courts, nos variétés actuelles sélectionnées selon d'autres principes, ceux de l'agriculture productiviste et de l'industrie agroalimentaire, ne sont pas efficaces. Ils font donc développer de nouvelles variétés pour cette agriculture quand nos variétés anciennes et locales ne suffisent pas.
Retrouver des variétés animales mixtes.
Dans le domaine de l'élevage, le travail est assez évident. La spécialisation des exploitations s'est accompagnée de celles des variétés et il faut donc revenir sur cette spécialisation. En effet dans un agriculture douce qui veut utiliser au mieux la ressource et, dans ce cas, les animaux, il est nécessaire que chaque animal donne plusieurs produits et soit rustique. On peut accepter d'utiliser l'animal pour l'homme mais la condition fondamentale est d'utiliser le plus possible l'animal sacrifié en évitant tout gaspillage de vie. Par exemple, pour les volailles, la spécialisation entre races à viande et races pondeuses aboutit à des abérrations. Les races à viandes sont faites pour être de bon poids en 40 jours au point de ne plus être capables de marcher ce qui n'est pas gênant en élevage intensif où elles n'ont de toutes façons pas la place de le faire. De l'autre côté, chez les pondeuses, ce sont tous les mâles qui sont sacrifiés à la naissance et les femelles, usines à pondre, n'ont que la peau sur les os et sont détruites sans être consommées dès qu'elles ne pondent plus. Ce gaspillage et cette destruction d'êtres vivants sont inacceptables à tous les points de vue. Un élevage doux consiste à faire que les mâles soient élevés pour la chair et les femelles pour la ponte avant d'être ensuite consommées à condition qu'elles ne soient pas décharnées comme les variétés pondeuses actuelles. Ainsi tous les animaux élevés seront consommés au maximum. Il faut donc redévelopper des variétés par croisement entre races pondeuses et races à chair : on obtiendra alors une race mixte adaptée à un élevage doux qui bien sûr pondra peut-être un peu moins, grossira plus lentement mais fournira les deux, oeufs et viande, à partir d'un nombre bien moindre de bêtes tuées et dont aucune n'aura été gaspillée. Ce fonctionnement semble évident pour tous ceux qui ne connaissent pas la production volaillère actuelle mais va à l'encontre de son développement depuis 50 ans.
La recherche de variétés mixtes doit se faire aussi chez les autres animaux d'élevage. Chez les bovins, la sélection variétale a séparé depuis le XIXe s. les vaches à lait des vaches à viande sur des critères propres. Quantité de lait et mamelle adaptée à la traite mécanique chez les premières pour aboutir à la prim'holstein qui n'est qu'un pis entouré d'une carcasse famélique. Quantité de viande sur l'arrière de la carcasse (les morceaux à griller) sur les races autrefois de travail qui sont devenues si lourdes que les déplacements sont devenus compliqués et le velage impossible sauf par césarienne. Le développement de race mixte à partir de variétés anciennes déjà correctes dans la production de lait et de viande (Normande, Montbéliarde, Abondance, Tarentaise, Salers et bien sûr la Ferrandaise...) peut permettre une meilleure utilisation de la ressource animale dans une agriculture douce. Chez les ovins, ce ne sont plus deux mais trois types de variétés qui on été sélectionnés : lait, viande et laine. Il serait là aussi intéressant de rechercher la mixité pour faire toutes ces productions à partir des mêmes animaux et ainsi ne pas multiplier sans raison les animaux d'élevage.
Cultiver des légumes vivaces.
Quittons le domaine animal pour le végétal. Dans celui-ci, il existe un champ important de développement de nouvelles variétés pour une agriculture douce. En effet, le modèle agricole actuel est principalement fondé sur la monoculture de plantes annuelles : je plante ou je sème et je récolte dans l'année en enlevant totalement la plante. C'est le cas de nos céréales, de nos légumes. Même certains légumes bisannuels sont cultivés en annuels et récoltés en une fois alors qu'ils pourraient l'être en plusieurs comme les bettes. L'intérêt de cette culture annuelle est la lutte contre les adventices, les "mauvaises herbes" : chaque année, on récolte et on retourne et on détruit ces plantes concurrentes. On fait table rase. Certaines techniques de l'agriculture douce remettent en cause ce recours au labour comme lutte contre les adventices : le travail manuel de petite surface comme dans la permaculture ou le travail sans labour avec semis direct sous couvert végétal sur de plus grandes surfaces. On peut donc envisager de laisser les plantes plusieurs années en place ce qui permet une culture plus efficace. En effet, prenons le cas d'un haricot par exemple, la plante annuelle doit produire son système racinaire, sa tige, ses feuilles, ses fleurs pour que l'on consomme son fruit, alors que tout le reste de la plante meurt et est détruit. Quelle débauche d'énergie et quel gaspillage! On a produit plus de tiges, de racines et de feuilles que de haricots. Un haricot qui serait vivace produirait lui ses racines et ses tiges la première année et ne devrait plus chaque année que produire feuilles, fleurs et fruits, voire les tiges en cas de plante gélive, mais tout cela à partir d'un système racinaire bien développé et bien implanté qui lui permettrait de pousser vite en utilisant mieux les nutriments du sol.
Ilfaut donc développer des variétés vivaces alors que depuis le début de l'agriculture nos choix se sont portés vers la monoculture de plantes annuelles. Pour cela, trois façons pour développer des vivaces.
On peut partir des quelques légumes vivaces qui nous restent comme l'artichaut, le cardon, l'oseille, l'asperge , la rhubarbe mais aussi, moins connus, le poireau perpétuel, l'ail et l'oignon rocambole (photo), l'ail des ours, le chou Daubenton, la livèche (ou céleri perpétuel), le chervis, le chénopode Bon-Henri... Tous ces légumes vivaces retrouvent une certaine heure de gloire sous le nom de légumes perpétuels dans des potagers perpétuels (un article sur ces potagers et ces légumes perpétuels). Ce premier fond de légumes vivaces peut être développé et amélioré. Ainsi en mai 2017, on a retrouvé l’hablitzia tamnoïdes qui est un épinard vivace et grimpant originaire du Caucase (voir article) qui installé au jardin produit pour plusieurs dizaines d'années.
On peut aussi partir de variétés légumières existantes et les rendre vivaces par sélection. Parfois le travail n'est pas si compliqué qu'il n'y parait. Il existe par exemple déjà un haricot vivace, le haricot d'Espagne, consommable en gousse et en grain pour certaines variétés. Le seul problème est que cette plante est vivace mais gélive à -5°c. Le rendre réellement vivace, c'est simplement sélectionner ce critère de résistance au froid qui peut se faire par simple sélection épigénétique car ce n'est pas un changement variétal mais simplement une évolution de la variété en gardant progressivement les grains des plants qui passent le mieux l'hiver.
Une autre solution consiste à redévelopper des légumes vivaces à partir de plantes vivaces sauvages. Ainsi tous les choux que nous connaissons ont pour ancêtre commun une plante sauvage, brassica oleracea, qui pousse sauvage sur les littoraux de l'ouest de l'Europe. Au lieu de prendre cette plante sauvage comme base de sélection, on pourrait prendre sa cousine et voisine, le crambe, dont feuilles et tiges sont déjà comestibles à l'état sauvage (Louis XIV en réclamait à sa table) mais qui en plus est une plante vivace. On pourrait ainsi développer des dizaines de variétés de choux vivaces.
Le potentiel de ces légumes vivaces est énorme d'autant que le maraichage est un secteur agricole où le travail manuel d'entretien des parcelles est déjà très présent, ce qui n'est pas le cas dans les grandes cultures.
Développer des céréales vivaces.
Il reste un domaine agricole où la culture de vivaces peut être développée : celui des céréales. Toute notre agriculture est basée sur les céréales annuelles. Pourtant la recherche de céréales vivaces n'est pas nouvelle, elle a commencé en URSS avant la seconde guerre mondiale et fait l'objet de recherche au Land Institute du Kansas et au Canada depuis plus de vingt ans.
L'idée de départ est simple : la germination des céréales est la période la plus critique et il est très périlleux de baser toute son alimentation sur le renouvellement annuel de cette étape fragile. Avec des vivaces, la germination n'est faite qu'une fois pour plusieurs années de production. De plus, le système racinaire des vivaces est beaucoup plus important leur permettant de mieux trouver eau et sels minéraux ce qui est particulièrement intéressant dans les milieux arides qui se développent avec le changement climatique ou dans les milieux difficiles.
Ce développement de céréales vivaces peut se faire en croisant des variétés domestiques annuelles avec leur parente sauvage vivace ou de domestiquer des variétés sauvages vivaces. Une des plus prometteuses est le seigle des montagnes (secale montana, voir 2e photo), une variété parente de notre seigle annuel mais vivace. Ces rendements sont très corrects en culture, bien qu'encore inférieurs au seigle annuel. Il faut toutefois voir que ce rendement encore inférieur va être amélioré par sélection. Il y a en effet plusieurs milliers d'années qu'on améliore le rendement du seigle annuel alors que cela ne fait qu'une dizaine d'années qu'on s'intéresse à la variété vivace. De plus, le seul rendement à l'hectare ne rend pas compte de l'intérêt agricole de ce seigle vivace. Il n'y a pas besoin de le ressemer chaque année ce qui évite le coût annuel des semences. Ses racines profondes le rendent plus fort et plus efficace évitant engrais et pesticides (sur la photo, enracinement des graminés vivaces à gauche, d'annuelles à droite). Après la moisson des grains, la plante refait des tiges et des feuilles qui produisent du fourrage avant que les chaumes de l'automne servent de patures. Un seul champ de céréales vivaces peut donc à la fois produire des céréales, du fourrage et une pature. Cette polyfonctionnalité est parfaite pour une agriculture douce.
D'autres céréales sauvages vivaces sont possibles. Une variété de blé d'été est vivace : le triticum aestivum variété perennial. L'agropyre intermédiaire est une graminée vivace appelée aussi triga sauvage qui pourrait fournir des graines utilisables comme du riz. L'élyme des sables est une graminée du littoral probablement utilisée par les vikings et qui pourrait être aussi développée à l'avenir d'autant plus qu'elle résiste au sel.
Le développement de ces graminées vivaces qui pourraient être une véritable révolution agricole, doit être méné par les paysans eux-mêmes ou par la recherche public car il n'intéresse pas les semenciers qui profitent de l'annualité des plantes cultivées pour vendre leurs graines.
La mise en place d'une agriculture douce est donc loin de l'image qu'en donne ses détracteurs. Elle n'est pas un retour passéiste à des pratiques anciennes qui s'opposerait à la recherche scientifique. Au contraire, il y a plus de science dans la permaculture, l'agroécologie que dans l'agriculture productiviste qui n'est pas scientifique mais juste technique. Elle met l'agriculture au pas de la technologie alors que l'agriculture douce entend utiliser la science au profit de l'agriculture. C'est ce que montre cette réflexion sur la sélection variétale. Il faut de la science et de la recherche : connaissance des variétés anciennes, botanique, biologie, sélection, travail sur l'épigénétique, développement de nouvelles variétés, pour trouver celles qui sont adaptées à cette agriculture douce. Cette science du vivant qui accompagne l'agriculture douce peut même conduire à un nouveau monde de variétés domestiques faits de variétés anciennes et adaptées, de variétés sauvages domestiquées ou de variétés vivaces créées, un projet scientifique plus grand dans son ampleur que tous les tripatouillages génétiques et coûteux de l'industrie semencière.
Pour aller plus loin sur les cultures vivaces :
- le site pfaf.org (Plants for a future) leur est totalement dédié mais est principalement anglophone. Il propose toutefois un article en français sur les vivaces comme aliments et d'autres articles en français mais surtout une base de données passionnante sur les plantes vivaces.
Janvier 2017