Le pois chiche, un légume tout sauf chiche

L'appellation pois chiche par laquelle on désigne ce petit légume sec que beaucoup d'entre nous ne connaissent plus que dans le couscous, est un double mensonge. Le pois chiche n'est pas un pois et n'a rien de chiche. Alors partons à la découverte de cette merveille méditerranéenne, ... chiche?

Le pois chiche n'est pas un pois.

Premier mensonge, ce n'est pas un pois mais une vesce ce que dit le terme chiche qui vient du latin cicer, son genre botanique. Donc le pois chiche est en fait une chiche, une vesce, et non un pois. Son nom botanique cicer arietinum veut dire vesce petit bélier car sa graine aurait une ressemblance avec une tête de bélier (plus l'engin de guerre pour défoncer les portes que le mouton mâle selon moi)... Tant qu'on est dans le lexique, c'est le pois chiche qui aurait donné à l'auteur latin Cicéron, le surnom de sa famille (Cicer-on) un de ses ancêtres ayant une verrue en forme de pois chiche sur le nez. Cette racine cicer désigne le légume dans la plupart des langues européennes (comme dans le chickpeas anglais), sauf en espagnol où il s'appelle garbanzo qui signifie légume mais au sens étymologique comme dans le français du XVIIe siècle "graines se formant dans une gousse". 

L'origine du pois chiche est sujette à débat : la plupart des pays du Moyen Orient s'en dispute la paternité ainsi que de celle de sa recette phare le houmous au point qu'il existe au Levant une guerre du houmous qui a même donné lieu à un documentaire (T. Graham, Make Hummus not war). Les enjeux sont commerciaux pour garder le droit d'appeler houmous la préparation du pays et de la vendre sous ce nom. Ils sont aussi politiques puisqu'Israël voit dans la reconnaissance d'un houmous israëlien une manière d'ancrer le pays relativement récent dans la tradition levantine. C'est dire si le Levant se définit par ce pois chiche et ce houmous. Bref de grandes histoires pour un pois chiche dont l'histoire est mal connue. Tout le monde s'accorde sur le fait que le pois chiche est originaire d'une zone allant de la Grèce à l'Himalaya ce qui laisse de la place. Sur son introduction en Europe, on a souvent parlé du Moyen Age et on le pensait rapporté par les croisés comme la prune, le patisson, la rose de Damas, le moulin, le papier, ... Cette hypothèse ancienne ne tient pas car Charlemagne, dans le chapitre 70 du capitulaire de Villis (fin VIIIe-Déb.IXe s), recommande aux gouverneurs de ses domaines la culture du pois chiche, sous le nom de cicerum italicum. (Cliquez sur l'image pour voir le manuscrit, le pois chiche est souligné en vert, par moi pas par Charlemagne car le stabilo n'était pas inventé). Plus ancienne encore est la présence et la consommation du pois chiche en Europe puisqu'on l'a retrouvé dans une grotte habitée au VIIe millénaire avant notre ère dans le Languedoc.

Le pois chiche est donc un légume d'importance qui unifie et nourrit les peuples méditerranéens au sens très large depuis des millénaires. En Europe, il a connu un net recul avec l'arrivée des légumes américains dont le haricot qui lui a volé la vedette. Théophile Gautier disait de lui que c’est « un petit pois qui nourrit l’ambition d’être un haricot et qui, heureusement, y parvient ». Dans ses mots on voit que le pois chiche est pensé de prime abord inférieur au haricot, ce nouveau venu américain. On voit là toute l'ingratitude des mangeurs européens qui ont délaissé comme des enfants gâtés au XIXe siècle tous les produits qui leur avaient permis de survivre dans des temps plus compliqués comme la bette ou le sarrasin.

Le pois chiche n'a rien de chiche

Cette attitude est d'autant plus ingrate que le pois chiche a vraiment bien nourri l'Europe car il nourrit bien. C'est là le deuxième mensonge du pois chiche. Il n'a rien de chiche quelque soit le sens du mot retenu car le pois chiche est à la fois de grande valeur et généreux avec ceux qui le cultivent ou le cuisinent. Sa valeur nutritive est exceptionnelle puisqu'il est très riche en protéines (17 à 23% en sec) et en acides aminés variés. De même il est riche en glucides lents et pauvre en sucre rapide. C'est donc l'allié des cuisines végétales comme tous les légumes secs qui permettent de faire des plats complets végétaux inspirés des cuisines populaires. Le pois chiche va même plus loin car il permet de remplacer le blanc d'oeuf dans la pâtisserie pour faire des mousses en utilisant l'aquafaba c'est-à-dire l'eau de cuisson des conserves de pois chiche.
Le pois chiche est aussi généreux avec celui qui le cultive. Il est le spécialiste des sols pauvres, caillouteux et secs mais s'adapte aux autres sauf s'il a vraiment les pieds dans l'eau. Il n'a pas besoin de tant de chaleur que l'on pourrait le penser et peut se cultiver n'importe où en France ou en Europe. Son cycle de végétation est assez long : semis au printemps et récolte en sec en début d'automne mais il n'y a quasiment rien à faire : ni engrais, ni arrosage et très peu de désherbage car il couvre rapidement l'espace d'une végétation abondante. Cerise sur le gâteau : c'est une fabacée et donc il capte l'azote atmosphérique et le stocke dans des nodules souterrains fournissant ainsi un engrais pour lui mais surtout pour les cultures suivantes. C'est pourquoi, comme toutes les fabacées,  il est important de récolter en coupant et non en arrachant pour laisser cet engrais donné par la plante dans le sol. Il est d'ailleurs utilisé dans les rotations en grande culture, par exemple après un blé dur qui a nécessité beaucoup d'azote, et peut l'être au potager complanté d'un légume ayant besoin de beaucoup d'azote.

La farine de pois chiche, une farine à découvrir

La farine de pois chiche a une utilisation proche de celle de sarrasin et de lentilles vertes mais on trouve aussi des recettes régionales bien souvent inconnues en dehors de leur terroir. Nice qui raffole du pois chiche a donné une spécialité merveilleuse qui se déguste en se brulant les doigts sur les marchés niçois : la socca, une fine galette de farine de pois chiche moelleuse et grillée à la fois, parfumée d'huile d'olive et de poivre, et qui est peut-être, olive sur la socca (cerise sur le gâteau localement), la recette la plus facile qui soit. Une merveille à déguster à l'apéro, ou trempée dans  de jolies sauces. Toujours dans le sud de la France, on trouve les panisses communes à toute la Méditerranée avec des noms différents : il s'agit de beignets de polenta de pois chiche très simples à faire et délicieux. Selon le format choisi, on pourra en faire des petits dés apéritifs, un accompagnement, des beignets à tremper où même comme une sorte de steack végétal (mais bon) avec un légume ou une salade. Plus original, la farine s'utilise aussi en déssert dans vos gateaux car son goût est très intéressant en sucré, dans un quatre-quart par exemple que l'on peut orientaliser avec un peu de fleur d'oranger et/ou d'anis et en remplaçant une partie du beurre par de l'huile d'olive : Presque quatre-quarts levantin. A servir à l'orientale, imbibé voire trempé d'un sirop léger. Classiquement, la patisserie à la farine de pois chiche ce sont les chichi frégi provençaux qui se font eux aussi à la farine de pois chiche traditionnellement. 

La photographie montre le bocal de farine de pois chiche mais rebaptisée par ma fille...

Les pois chiche

En cuisine, il existe des dizaines de recettes avec le pois chiche mais commençons par voir la règle numéro 1 du pois chiche : le trempage. Un pois chiche entier sec peut se garder des années et a donc vraiment besoin de ce trempage long, une nuit minimum mais 48h heures sans problème. Si c'est à température ambiante il risque de commencer à germer ou à se préparer à germer ce qui n'empêche pas de le consommer et au contraire le rend plus digeste. Sinon on le fait tremper au réfrigérateur et il n'y a aucun risque qu'il commence à germer à 5°C. Une fois trempé et selon les recettes il faut le cuire. Là aussi c'est du temps mais pas de travail. La règle est simple : beaucoup de liquide mais pas de temps donné, il faut le cuire jusqu'à ce qu'il soit cuit, et tout ça à feu doux. Pour aider pour une cuisson à l'eau on peut aussi mettre un peu de bicarbonate de soude.

Pour contourner ces temps de trempage et de cuisson au quotidien, une astuce simple : faire tremper les pois chiche et les congeler ainsi sans eau, ou faire tremper et cuire les pois chiche au naturel et les congeler de même, le tout en portions qui conviennent à votre famille. Ainsi vous en aurez toujours à disposition et si vous avez congelé sans eau et dans un sac sous vide, la décongélation à l'eau tiède est quasiment immédiate. Alors vous n'avez plus aucune excuse du type les légumes secs c'est trop long à cuisiner, ni aucune excuse pour acheter des conserves quand les délicieux pois chiche biologiques de Villatte vous tendent les bras.

Dernier conseil général, quoi qu'on en fasse le pois chiche adore le cumin alors si vous avez une hésitation au niveau de l'assaisonnement, pensez cumin.

Le plat le plus simple et aussi un des meilleurs est le falafel. C'est devenu l'aliment ^référé voire principal d'une de mes filles. Son avantage : pas de cuisson préalable, on fait tremper les pois chiche, on mixe et on fait frire en quelques minutes... Délicieux, il s'accompagne d'une petite sauce aux herbes, rentre bien sûr dans des sandwichs et les enfants l'adorent. Pour ceux qui veulent diminuer la viande, il est bien meilleur que tous les ersatz industriels de steacks ou nuggets végétariens. La recette toute simple ici et en version verte ici.

Pour les recettes suivantes, il faut partir de pois chiche cuits préalablement. La plus évidente est bien sûr l'houmous, simple et délicieux à utiliser comme mezze, à l'apéro tartiné ou pour tremper des légumes, voire même en sauce ou accompagnement ou comme base d'un sandwich rempli de légumes. Toujours à l'apéritif ou tout au long de la journée en grignotage comme cela se fait au Moyen Orient, les pois chiche croquants sont simplissimes mais présentent le risque de toutes les graines qu'on grignote : une certaine difficulté à s'arrêter. Dans le même genre grignotage et apéro, les petits beignets croustillants de pois chiche au cumin se font sans pâte et très facilement à base de pois chiche écrasés.

Quittons apéro et grignotage, pour les superbes soupes que permettent les pois chiche. La plus simple et la moins attendue est le velouté de pois chiche, avec un simple bon goût de pois chiche. Viennent ensuite les minestrones italiennes dans lesquelles le pois chiche peut remplacer les haricots secs avec bonheur mais qui a aussi ses recettes comme la minestrone pois chiche chou palmier (ou chou kale). La harira est la soupe marocaine emblématique (avec la chorba mais qui ne comporte pas de pois chiche, alors pas cette fois) : nourrissante et délicieuse, elle allie plusieurs légumes secs avec le cumin et la coriandre.

Le pois chiche s'utilise aussi dans de nombreux plats qu'il serve de légumes ou de protéines dans un plat végétal. Le plus évident est bien sûr le couscous, plat préféré des français mais surtout trait d'union de tout le Maghreb. C'est à la base un plat de tous les jours : un plat de légumes de saison épicé avec des pois chiche comme protéines et la semoule. Bref un génial plat complet de cette cuisine du quotidien, cuisine d'opportunité et de peu qui associe comme tant d'autres plats populaires le tryptique céréale-légumineuse- légumes et dont notre cuisine trop et mal carnée ferait bien de s'inspirer au lieu de faire des plats végétaux singeant à coup de transformations la viande (on ne dirait jamais assez de mal des steacks végétaux industriels). C'est cette version végétale du couscous que je vous propose avec un couscous de légumes délicieux qui donne toute sa place nutritive et gustative au pois chiche. Vous trouverez ailleurs de multiples recettes avec viande que ce soit des boulettes, de l'agneau, du poulet ou même du poisson. 

Les italiens associent le pois chiche aux pâtes dans un plat qui peut impressionner au premier abord mais qui mérite d'être testé : les pâtes aux pois chiche.  En Espagne, on trouve en plat ou en tapas les pois chiche aux épinards, et en Inde ou au Pakistan un curry végétal de pois chiche le chana massala, qui est vraiment délicieux. La Tunisie livre aussi un très beau plats de pois chiche, le mermez, un joli ragout avec de l'agneau et des oignons au bon goût de cumin.
Enfin le pois chiche cuit et refroidi est un allié inconditionnel des salades composées qu'il transforme en plats complets. On peut en rajouter dans un taboulé printanier voire même en faire un taboulé de pois chiche où les pois chiche remplacent la semoule. IL s'intègre à n'importe laquelle de vos salades à condition d'en avoir sous forme cuite au congélateur pour une utilisation au dernier moment.

Et Pour Ne Pas Être Chiche...

Pour des pois chiche et une farine de pois de grande qualité, le tout biologique et local, découvrez ceux de Monika et Ulrich de la ferme Villatte.

Pour ceux qui ne seraient pas encore rassasiés sur le pois chiche, 3 références à lire ou écouter: 

Traité du pois chiche, de Robert Bistofli et Farouk Mardam Bey, Actes sud, 1998. 

https://www.franceculture.fr/emissions/les-bonnes-choses/la-revanche-du-pois-chiche

https://www.franceinter.fr/emissions/on-va-deguster/on-va-deguster-05-novembre-2017

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